Amédée VIII, comte, duc, pape et évêque
Amédée VIII est surement le souverain le plus renommé de la Savoie mais aussi ce qui est paradoxal, peut être pas un des moins connu mais un des plus mystérieux. En effet, sa carrière avec ses succès (il fut élevé au rang de duc) mais aussi ses échecs et ses choix interrogent. Amédée VIII nait à Ripaille en 1383, l'année de la mort du comte vert son grand père. Son enfance se passe calmement à Ripaille dans la résidence qu'à fait construire sa grand mère, Bonne de Bourbon. Il ne reste rien de ce Ripaille de Bonne de Bourbon mais c'était alors une grande résidence princière avec un immense corps de logis de plus de 75 mètres de long dont l'essentiel du gros œuvre aurait été fait en bois. En 1391, son père meurt surement empoisonné. Amédée VIII devient donc comte de Savoie à 8 ans. La suite est tragique et plusieurs « clans » se combattent.
L'origine du comté de Savoie.
Mais avant de continuer, interrogeons nous sur ce « comté de Savoie » qu'hérite le jeune Amédée VIII. Ce comté prend son origine dans un « royaume de Bourgogne ». Ce royaume de Bourgogne n'a rien à voir avec le « duché de Bourgogne » français. C'est un royaume qui comprend l'essentiel du bassin Rhodanien avec la Suisse romande actuelle et le val d'Aoste. Ce royaume de Bourgogne prend son origine dans le royaume des Burgondes fondé en 443 en Sapaudia et est simplement la continuation de ce royaume. En 1032, le roi de Germanie qui est aussi l'empereur du Saint Empire romain hérite de ce royaume qui se transmettra d'empereur à empereur. Cependant, l'autorité impérial s'affaiblira, surtout après 1250 et des états quasi-indépendant vont émerger comme le Dauphiné et le comté de Savoie. En 1350, le comté de Savoie a une capitale Chambéry et une administration déjà très efficace.
Bonne de Bourbon et Pierre-Châtel
En 1391, Bonne de Bourbon réussit a prendre le pouvoir malgré l'opposition des ducs français comme le duc de Berry, père de la mère d'Amédée VIII, ou les ducs d'Orléans et de Bourgogne. Bonne va retirer avec sa cour à Chambéry et vivre entre cette ville et Bourg en Bresse. Son pouvoir est fragile. En 1393, elle va consolider son pouvoir en élevant à Pierre-Châtel, l'abbatiale que l'on voit encore aujourd'hui. C'était une façon pour elle de s'affirmer en remémorant la fondation prestigieuse de son mari. Celui-ci fonda l'ordre chevaleresque du Collier et la chartreuse de Pierre-Châtel qui était le siège de cet ordre. 1 300 personnes participeront à la pose de la première pierre de l'édifice. C'était une façon de montrer pour la comtesse douairière, sa puissance politique. Preuve de l'importance de Pierre-Châtel pour la vie politique de Bonne de Bourbon, les travaux seront rapide : moins de deux ans pour le gros œuvre. Pierre-Châtel sera de fait la première construction du « règne » d'Amédée VIII. Cette construction mêlant le politique au religieux influencera énormément le jeune comte. C'est quasiment la même équipe de maçon qui travailleront pour la construction de la Sainte Chapelle qui est aussi d'un point de vue paysager une immense église sur un château. On peut aussi noter la passion d'Amédée VIII pour les ordres religioso-chevaleresque : il créera des statut pour l'ordre du collier en 1409 et créera l'ordre de Saint Maurice. Bonne de Bourbon va aussi s'occuper de l'administration des états de Savoie et elle va notamment reconstruire la chambre des comptes (qui est celle que l'on voit aujourd'hui). Surement pour montrer qu'elle pouvait compter sur une administration efficace. Mais la chambre des comptes et Pierre-Châtel ne seront pas suffisant pour maintenir la comtesse au pouvoir et elle est évincée en 1395.
Le château, la Sainte chapelle et le titre ducal
Amédée VIII réussira assez rapidement à prendre le pouvoir personnellement en éloignât tous les ducs français. Il élabora plusieurs stratégies pour conforter et accroître son pouvoir. Une des premières stratégies a été de donner à Chambéry, une parure monumentale digne d'une capitale. Il va refaire le château, avec notamment la tour demi-ronde et surtout à partir de 1408, la Sainte Chapelle qui est à l'époque, qu'une chapelle palatine. La référence de cette chapelle est évidemment de montrer qu'il était le petit fils du duc de Berry, un des hommes les plus cultivés et plus puissant de son temps. C'est une référence à la Sainte chapelle de Bourges aujourd'hui détruite, mais aussi au château de Mehun-sur-Yèvres qui était réputé pour être le plus beau château d'Europe. Mehun-sur-Yèvres a été aussi une possession des Luxembourg avant d'être celle du duc de Berry et qui est un héritage des Luxembourg. Par ce fait, Amédée VIII montrait aussi son lien familiale avec l'empereur Sigismond. Et c'est cet empereur élèvera Amédée VIII à la dignité de duc de Savoie en 1416. A cette époque, le gros œuvre de la Sainte Chapelle était terminé et le château devait alors avoir fière allure. Un parallèle peut être fait avec l'arrivée de l'empereur de Constantinople Manuel au château de Mehun-sur-Yèvres en 1405, événement qui a dû impressionner le comte de Savoie et qui a dû joué dans le fait de construire une nouvelle chapelle castrale. En 1418, est entrepris la construction du nouveau couvent des dominicains qu'Amédée VIII a fait venir. Surement un peu après, les franciscains commence la construction de leur nouveau couvent qui deviendra plus tard la cathédrale de Chambéry.
L'empereur Sigismond
Une petite parenthèse sur Sigismond qui est alors l'empereur du Saint Empire romain Germanique. C'est le fils de Charles IV qui s'est fait couronner roi de Bourgogne en 1365 à Arles. Ayant besoin de s'imposer dans ce royaume où il y a le pape à Avignon, le roi de France à Lyon et en Dauphiné et le roi de Naples en Provence, peu après son couronnement, il se rend avec le comte de Savoie à Saint Maurice d'Agaune pour prendre des reliques de ses ancêtres. Se conduisant comme un archéologue, il retrouve la tombe de « son ancêtre » Saint Sigismond. Il emportera des reliques de se saint à Prague et nommera son fils : Sigismond. Sigismond aura à résoudre les problèmes de la papauté. En effet depuis 1409, il y a trois papes. Il convoquera le concile de Constance en 1415. Et c'est en descendant vers Perpignan pour forcer Benoit XIII à abdiquer qu'il passe par la Savoie. Il aura aussi des problème avec les Ottomans et on lui doit la défaite de Nicopolis où sera fait prisonnier le demi-frère d'Amédée VIII, Humbert le bâtard dont la devise sera « Allah Ac ». Il fondera l'ordre du dragon qui aura sa renommées avec « Vlad Dracul » qui veut dire Vlad de l'ordre du dragon.
Amédée VIII et Genève
Un des grand axe de la stratégie territoriale d'Amédée VIII va être de s'accaparer de Genève. Déjà, nous voyons que cette ville est au cœur des états de Savoie. Mais, elle est possédée par son évêque. A partir de 1390, elle va devenir le centre des échanges commerciaux et financiers de l'Europe au détriment de la champagne, ravagée par la guerre de 100 ans. Genève est très bien située, non loin de la route international du Simplon et du Grand Saint Bernard. Il est facile d'accéder en Allemagne par le plateau Suisse, en France du nord par la cluse de Nantua et Bourg en Bresse et à Avignon soit par le Rhône, soit par le sillon alpin et Chambéry. Le pape Clément VII qui a été en plus comte de Genève de 1392 à 1394 n'est peut être pas complètement étranger à ce succès. En 1390, Genève compte environ 2000 habitants, c'est encore une ville d'importance secondaire. Elle va en avoir 10 000 au milieu du siècle suivant et cela dans un contexte européen de régression démographique. Chambéry passera de 6000 personnes en 1350 à moins de 4000 en 1450. Le tableau de Conrad Witz, « la pêche miraculeuse » est un très bon symbole de la prospérité de Genève. La Savoie possède déjà un grand pouvoir dans la ville de Genève. Notamment, elle possède son principal château, le palais de l'Isle idéalement situé entre les deux rives, sur le seul pont et sur l'artère commerciale. Une des première action d'Amédée VIII pour avoir le contrôle de Genève va être d'acheter le comté de Genève ; achat difficile qui se passera en 1405 mais qui sera confirmé par l'empereur qu'en 1422. Avec l'achat du comté de Genève, Amédée VIII rachètera aussi les terres de Thoires et Villars, notamment le Haut Bugey. Cela lui permettra de contrôler un axe stratégique important : la cluse de Nantua qui mène de Bourg en Bresse à Genève. Il peut ainsi facilité le trajet des commerçants français se rendant à Genève et renforcer la prospérité de cette ville. Cependant, ce n'est que vers les années 1428, 1430 qu'il va réellement essayer de s'imposer à Genève, Annecy et le Genevois. En 1428, il commence la reconstruction du château d'Annecy afin de s'affirmer dans le Genevois, comme comte de Genève. Il restaure la grande salle et les tours saint Pierre et Saint Paul tel qu'on peut le voir aujourd'hui. En 1430, il promulgue les statuts de Savoie dans la ville de Genève. Malheureusement, peu après, l'évêque fera échouer son projet hégémonie sur Genève. Le duc de Savoie ne possédera Genève qu'en 1444 quand celui-ci sera aussi administrateur du diocèse.
L'héritage des Savoie-Acaie
Revenons à la période entre 1416 où il est élevé à la dignité de duc et 1428 où il commence à s'occuper du Genevois. Surtout dans les années entre 1418 et 1427. En 1418, Amédée VIII hérite de son cousin Louis de Savoie Acaie de toute la principauté d'Acaie qui comprenait les riches villes de Pignerol, Turin, Moncalieri, Savigliano, Fossano et Mondovi. En 1427, à l'aide d'une impressionnante armée contre le Milanais qui servira surtout à impressionner le duc de Milan, il acquiert le Vercellois et la ville de Verceil.
Ripaille, où la course à la papauté
En 1431, il fait commencer la construction de son ermitage de Ripaille. Depuis 1431 commence aussi le concile de Bâle. Et tous les indice semble montrer que le duc se place dans la course à la papauté. Ripaille est conçu comme une chartreuse de luxe pour grand seigneur. Il faut savoir qu'il a fondé en 1411 à Ripaille un premier prieuré de Saint Maurice. En 1413, il entreprend la reconstruction du château de Thonon qui devient une véritable résidence princière. La ville de Thonon fait office une seconde capitale. C'est aussi une des rares villes du duché à accroître sa population. Ripaille /Thonon est idéalement placée. C'est en face de Lausanne, du château de Morge et à équidistance de Genève et de Chillon. Du pas de morgin, nous pouvons nous rendre facilement à Saint Maurice d'Agaune. Le lac Léman devient une « mer savoisienne ». Il est aussi facile de se rendre, soit en Italie, soit en Allemagne, soit en France. Donc Ripaille semble être à l'opposé d'un lieu pour se retirer du monde. En 1434, le duc de Savoie fonde l'ordre de Saint Maurice. Il augmente aussi les statuts de l'ordre du collier qui deviendra en 1518, l'ordre de l'annonciade. Il abandonne officiellement son pouvoir à son fils (officieusement il le gardera). En 1439, il est élu pape. Les électeurs sont en majorité des prélats savoyards. Au delà du fait que son élection est le résultat d'un calcul habile, nous pouvons constaté que le clergé est très fidèle au duc de Savoie avant même que celui-ci ne devienne pape. Il le restera jusqu'en 1449. Entre temps, il ramènera la cour pontificale dans les états de Savoie, à Bâle d'abord, puis il séjournera à Ripaille. Son abdication en 1449 est vu comme un échec par la plupart des historiens qui se demande aussi pourquoi il a « accepté » de devenir pape. Ce qu'il faut retenir, c'est que cela a permis au duc de Savoie d'acquérir définitivement Genève à partir de 1444. Il en restera d'ailleurs l'évêque après1449. Cela permettra aussi à son fils de négocier l'indult en 1452, c'est à dire de contrôler l'église de Savoie (les évêques, archevêques, abbayes, prieurés). Indult qui sera sans cesse renouvelé et qui sera une des sources de la puissance et du succès de la maison de Savoie. Une immense abbatiale est prévue à Ripaille, qui ne s'élèvera jamais au dessus des fondations.